dimanche 3 février 2013

Moi, Sàndor F. - FLEISCHER Alain

    Alain Fleischer est un artiste accompli. Tout à la fois photographe, cinéaste et artiste plasticien, ce touche à tout joue cette fois le rôle d'auteur littéraire. Sous la demande de la collection "Alter Ego", Fleischer prend la plume pour relever un défi. En effet, la ligne d'édition de cette collection particulière est de s'inscrire dans le genre de l'autofiction. Il s'agit, tout comme l'a fait Hermann Hesse dans son Jeu des perles de verre, de créer de toute pièce l'autobiographie d'un autre, qu'il ait existé ou non. Alain Fleischer prend le parti de rendre hommage à son oncle, Sàndor Fleischer, mort au moment d'être déporté, durant la Seconde Guerre mondiale. 


La quatrième de couverture :

    «Un être peut-il en répéter un autre, ou le continuer, le prolonger, d'une génération à la suivante ?» En faisant sien, le temps d'un roman, le prénom hongrois qu'il aurait dû porter, Alain Fleischer reconnaît en lui la personnalité de son oncle Sàndor, mort à l'âge de 27 ans dans un train roulant vers Auschwitz, alors qu'il était lui-même né trois mois plus tôt.

Les quelques souvenirs de l'existence de son oncle lui deviennent propres à mesure qu'il les imagine et restitue l'agonie de son alter ego comme si c'était la sienne. Si personnels lui soient-ils, ses goûts et ses talents, son inclination dès l'enfance pour les jeunes filles comme sa précoce passion pour la photographie et le cinéma, semblent lui venir de cette vie antérieure, dont il se souvient en l'inventant.
Grâce à un procédé narratif original, parvenant à confondre les deux Sàndor en un seul, Alain Fleischer nous offre là un des romans les plus troublants jamais écrits sur le double mystère de l'identité et de la transmission. Moi, Sàndor F. devrait aussi rester comme un maître livre de cette littérature d'après les camps, que Jean Cayrol voulait «lazaréenne» ou de résurrection.
Jean-Luc Moreau



  Se projeter sous une forme autobiographique dans un autre personnage qui, tout en étant ainsi investi par une personnalité étrangère, conserve les vêtements de sa propre identité, telle est la proposition faite aux auteurs de cette collection. À mon sens, il s'agit moins de s'identifier à la vie d'un autre que d'identifier en soi une autre vie possible. En disant les choses autrement, il s'agit moins de s'imaginer être un autre, que d'imaginer un autre être soi.
J'ai accepté cette proposition singulière parce que mon oncle Sàndor F. a pu - façon de parler - attendre ma naissance pour être assassiné par les nazis, et me passer une sorte de relais. Ceux qui l'ont connu ont pu me trouver, avec lui, quelques traits de ressemblance, et je tente donc, en respectant le peu que j'ai appris sur lui, de le prolonger jusqu'à moi, en empruntant à celui que je suis, et à la vie qui a été la mienne, ce qui me permet de compléter l'histoire de sa brève et tragique existence.
A.F.

Mon analyse :

    Sous une écriture propre à son style, Fleischer revient sur le souvenir de son oncle, mort quelques mois après sa naissance, sans qu'ils n'aient pu se rencontrer. De cet homme inconnu, il ne connaît que les souvenirs de la famille qu'ils partagent, lointains récits entendus durant son enfance. Pour combler ces failles d'oublis et faire revivre la mémoire de cet oncle disparu, Fleischer prend le parti de mêler leurs vies. Sous la répétition incessante des mots "Moi, Sàndor F." se confondent deux identités, que le lecteur identifie grâce à leurs dates et lieux de naissance. Ainsi, "Sàndor F., né à Budapest en 1917" précède à "Sàndor F., né à Paris en 1944". Plus qu'une famille, c'est un lien privilégié qui unit ces deux hommes qui ne se sont pourtant jamais rencontrés. Les souvenirs de leur famille se réveillaient par la personnalité et le physique si ressemblant que le jeune Alain partageait avec son oncle Sàndor. Deux caractères égaux, des "jumeaux nés à des années de différence", d'après l'auteur. Leurs vies sont unies par ces personnalités, mais aussi par ce prénom hongrois, Sàndor. Un prénom que les parents de l'auteur lui destinaient, avant de se rétracter pour lui donner un prénom français, afin que son intégration dans le pays les ayant accueillis se face plus facilement. Alain, une des traductions possibles pour ce prénom. Deux nationalités différentes, une même racine. En plus de tout cela, le neveu porte à son doigt la chevalière de son oncle, retrouvée miraculeusement en Israël par sa tante. L'homme, au moment de mourir, l'avait donné à un compagnon d'infortune, dans ce train de bétails les portant vers Auschwitz, afin de laisser un héritage, un souvenir, à sa famille.
  Pour Alain Fleischer, il s'agit de rendre hommage à cet oncle, dont la mémoire partira après lui, toutes personnes l'ayant connu étant maintenant mortes. Mais de ces vagues souvenirs de lointaines discussions entendues lors de son enfance, que lui reste-t-il ? Alors l'auteur imagine. Qu'aurait été sa vie s'il avait été à la place de son oncle ? Qu'aurait été celle de son oncle s'il avait été à la place du neveu ? Et s'ils s'étaient connus, quels liens auraient-ils partagés ? Tant de questions impossibles à résoudre. Alors Fleischer mêle leurs deux vies. Sa propre biographie devient celle de son oncle, avec un report du contexte spacio-temporel. 

Citation significative :

    "Je ne peux raconter ma vie qu'en l'inventant pour la plus grande part, mais peut-être est-ce la règle et la situation de toute oeuvre biographique ou autobiographique, la vie supposée réelle de quelqu'un étant justement le lieu où se croisent et se mêlent, à parts égales, d'un côté les circonstances et les évènements effectivement vécus, qui contribuent à former l'histoire et l'identité d'un être, et d'un autre tout ce qu'il a rêvé, imaginé, espéré, fabulé, et qui constitue l'autre moitié du moule d'où sort la forme complète d'un individu, d'un destin." (p.19)

Mon avis :

    Par cette oeuvre, Alain Fleischer rend hommage à son oncle. Pour cela, il mêle son autobiographie aux souvenirs laissés par son oncle, Sàndor. Un genre nouveau apparaît sous la plume d'Alain Fleischer : l'autofiction. Il s'agit de dissoudre des éléments biographiques à l'intérieur d'une autre vie, qui aurait pu être meilleure. 
  Si ce genre est prometteur pour les amoureux de biographies comme je peux l'être, Fleischer n'est pas assez exigeant avec lui-même. L'oeuvre s'étend sous des longueurs, des répétitions incessantes de mêmes souvenirs. L'écriture est décousue, le temps fait des dents de scie. Le lecteur se perd dans une masse de souvenirs et se sent obligé de sauter des pages pour se libérer de cet étouffement. 
  Une déception pour moi sous une belle promesse qui réunissait les éléments que je préfère dans une oeuvre littéraire : une biographie inscrite dans la période de la Seconde Guerre mondiale. 


FLEISCHER Alain. Moi, Sàndor F. Paris : Editions Fayard, 2009. 394 p. (coll. Alter Ego).

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